Bien plus qu'un placement !
La salle de vente était comble...
Achetée 69.000 CHF en 1985.
Elle fut adjugée 600.000 CHF en 2014.
Publié le 01.08.2017
"Vous savez mieux que moi, quels que soient nos efforts,
Que l’argent est la clef de tous les grands ressorts,
Et que ce doux métal qui frappe tant de têtes,
En amour comme en guerre avance les conquêtes…"
Molière, L’école des femmes.
La salle de vente était comble. Les enchères s’étaient poursuivies durant plus de deux heures avant d’en arriver à la pièce maîtresse, la star de la vente, celle que l’on présente habituellement en couverture du catalogue. Après l’annonce du numéro du lot, suivie d’une brève désignation de la monnaie accompagnée d’un commentaire élogieux, le commissaire priseur, très professionnel, marqua la pause destinée à recueillir toute l’attention de la salle. Alors, dans cet instant suspendu, les quelques commentaires à voix basses qui s’échangeaient ici ou là, cessèrent soudainement ; les têtes se relevèrent ; on reprit position sur son siège ; et toutes les pupilles de l’assemblée, composée principalement de marchands mais aussi de collectionneurs, convergèrent en direction de l’estrade, au centre de laquelle, entre deux longues tables faisant face à la salle, trônait un pupitre derrière lequel officiait le commissaire priseur, debout, tenant le marteau d’ivoire, attribut de son autorité. Aux tables adjacentes siégeaient un « secret-taire » ayant pour fonction d’exécuter oralement les ordres écrits de clients ne souhaitant pas être présents dans la salle, l’huissier judiciaire qui enregistrait les adjudications tout en veillant au bon déroulement de la vente, et d’autres assistants chargés notamment de satisfaire d’anonymes et mystérieuses enchères téléphoniques.
Un silence attentif pesait sur la salle. Quelques regards se croisèrent. Des regards concentrés, emprunts d’appréhension, d’assurance, d’audace même. Soudain, le commissaire priseur, d’une voix calme, rompit cette relative quiétude. Une première offre fut annoncée : seulement quatre-vingt pour cent de l’estimation ! A ce prix, pour chacun dans la salle, l’espoir était permis, et ceci d’autant plus que, durant un bref instant, l’assemblée resta figée, silencieuse, dans l’expectative. Une main, éblouie par le prix proposé – car il en est certaines qui achètent le prix plutôt que les réelles qualités intrinsèques de l’objet -, s’éleva au milieu de la salle, puis une autre, à gauche au premier rang, et l’on intervint à droite, et encore à l’arrière… Dans le même temps, au fur et à mesure que des enchérisseurs se manifestaient - les uns en brandissant leur numéro d’acheteur, d’autres, leur stylo, et d’autres encore, plus discrets, s’exprimant d’un levé de doigt, d’un imperceptible hochement de tête ou encore d’un froncement de sourcils -, l’on entendait la voix ferme et encourageante du commissaire priseur, qui à l’évidence connaissait son public, annoncer les enchères qui se succédaient à un rythme régulier. Qui donc emportera cette monnaie de grand intérêt, du meilleur style, de haut relief, au flan large de médaillon et à la surface si délicatement préservée?
Quand les offres dépassèrent le double de l’estimation, le rythme des enchères se ralentit. Les premiers enchérisseurs, des collectionneurs, à grands regrets, avaient abandonné ; mais de nouveaux acquéreurs, des connaisseurs plus déterminés, étaient intervenus. Quand on atteignit le triple de l’estimation, la salle toute entière retint son souffle. A présent, il ne restait plus que deux intervenants en compétition. C’était, semblait-il, le dernier duel. L’un des acheteurs hésita, se redressa, sembla vouloir tendre une main et renchérir, mais ses épaules retombèrent lourdement ; il parut épuisé, l’âpre bataille avait fini par éteindre la flamboyante témérité qui l’habitait. « Qui couvre cette enchère ? » lança d’une voix ferme le commissaire priseur, en levant son marteau. « Je vais adjuger ! Attention !» s’écria-t-il encore. Assis dans l’allée centrale, le marchand, à qui l’on devait la dernière offre, agissant probablement pour le compte d’un énigmatique collectionneur, restait sur ses gardes. C’était un professionnel averti qui savait que rien n’est joué tant que le bruit sourd du marteau n’a pas retenti. De longues secondes s’écoulèrent, puis, on entendit à nouveau la voix du commissaire priseur s’écrier, enthousiaste: « I have a new bidder ! » « Au dernier rang, à droite !». Alors toute la salle, surprise, mais comblée de bonheur - car ce n’était pas fini -, se retourna en direction de l’audacieux.
Ce qui devait être l’ultime joute se poursuivit, lentement, mais sûrement. Six enchères additionnelles furent encore nécessaires pour départager les deux marchands. « Attention ! » « Ich schlage zu ! » « Uno, duo, tre ! » et le polyglotte commissaire priseur, d’un magistral coup de marteau frappé sur le pupitre avec toute la vigueur d’un monnayeur d’antan, attribua le lot avec ces mots : « Adjugé! Acheteur numéro ? » La salle applaudit le fortuné acquéreur, mais aussi le prix réalisé ; il semblait que ce fût un nouveau record ; une pareille monnaie, d’une telle conservation, n’avait pas paru sur le marché depuis au moins vingt ans. L’huissier nota le montant de l’adjudication dans son cahier ; et le marchand, que la Fortune semblait avoir favorisé, songeait à ces quelques trois minutes que durèrent les enchères, moins de temps qu’il n’en faut pour cuire un œuf à la coque. Trois minutes d’intense émotion mais…, des jours de travail, d’étude, de recherches, d’observations, de comparaisons, pour tenter d’appréhender, dans les profondeurs infinies des trente et quelques grammes de métal, toute la valeur d’une pareille monnaie. Le marchand sourit pour lui-même, car le prix qu’il avait réussi à cerner avec précision, selon des critères objectifs, ce prix qu’il était décidé à ne pas dépasser, était encore bien supérieur à la valeur adjugée. Le collectionneur sera ravi !
Cette monnaie-là, provenant d’une émission destinée à la garde prétorienne, frappée de l’impériale effigie de Caius Caesar Germanicus couronné de lauriers, illumine aujourd’hui le médaillier que nous avons choisi de publier ici. Vous la découvrirez dans les prochaines pages de cet ouvrage, avec beaucoup d’autres, qui comme elle, connurent des enchères tout aussi mémorables que j’aurais pu vous conter avec les mêmes mots. Car, tout comme l’Histoire qui se répète, dit-on, les enchères des « belles monnaies » se suivent et se ressemblent. Seuls les montants changent, tout comme le chiffre des ans. Elles sont généralement estimées à des prix bien inférieurs à ceux du marché - contrairement à la plupart des autres monnaies figurant au catalogue -, mais leurs qualités, et non pas le feu des enchères, les portent toujours au double, au triple, voire au quintuple de l’estimation initiale. Alors pourquoi, lors de ventes publiques, s’évertue-t-on à sous-estimer les « belles monnaies », je veux dire celles qualifiées d’exception, celles de part leur perfection et leur intérêt en tout point ? Les raisons en sont multiples, l’une d’entre elles vous paraitra bien simple, mais englobe toutes les autres: la « belle monnaie » est rare, très rare ; elle ne doit donc appartenir qu’au Connaisseur, à celui qui saura la découvrir entre toutes, à celui qui saura l’apprécier, la contempler, la comprendre, l’aimer.
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Description technique de la Monnaie
EMPIRE ROMAIN
CALIGULA, 18 mars 37 - 24 janvier 41.
Rome, 37-38.
Sesterce, bronze, 30,05 g.
Avers : C . CAESAR . AVG . GERMANICVS . PON . M . TR . POT Sa tête laurée à gauche; le tout dans un cercle perlé.
Revers : ADLOCVT / COH Caligula debout à gauche sur une estrade devant la sella castrensis (le siège du chef des armées), la main droite tendue, haranguant cinq légionnaires dont quatre portent des enseignes surmontées d'aigles; le tout dans un cercle perlé.
Références bibliographiques: Cohen 1; BMC RE I, 151, 33, pl. 28, 3; RIC I2, 110, 32; BN 45; Kent-Hirmer pl. 49, 168 (variante); M-M Bendenoun, Inestimables richesses de l'Histoire, Les monnaies de l'Antiquité, Portrait de la collection JDL, Genève 2007. Les Editions Tradart.
Provenance: Collection JDL; vente Bank Leu AG 36, Zürich 1985, lot 235 ; et vente Bank Leu AG 10, Zürich 1974, lot 48.
Achetée 69.000 CHF en vente publique à Zürich en 1985.
Adjugée 600.000 CHF en vente publique à Zürich en 2014.
L’ouvrage dans lequel apparaît cette monnaie est encore disponible au prix de 80 €, frais de port inclus. Cf. Les Éditions Tradart - M-M BENDENOUN, Inestimables richesses de l'Histoire - Portrait de la collection JDL
Images
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MONNAIE DE L'ANTIQUITE ROMAINE - EMPIRE ROMAIN, Caligula, 37-41. Rome, 37-38. Sesterce en bronze (avers). MONNAIE DE L'ANTIQUITE ROMAINE - EMPIRE ROMAIN, Caligula, 37-41. Rome, 37-38. Sesterce en bronze (avers).
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MONNAIE DE L'ANTIQUITE ROMAINE - EMPIRE ROMAIN, Caligula, 37-41. Rome, 37-38. Sesterce en bronze (revers).